Les Ailes du Traître suite chapitre 19 & chapitre 20

Chapitre dix-neuf

Je lui en ai fait le serment.

Parfois, Sassy, on doit se parjurer. Et puis moi, je n’étais pas là quand vous lui avez fait cette promesse irréfléchie, je...

Sire... même si vous devez me jeter au cachot, je tiendrai ma parole. J’ai juré par Belhial.

Cosme se mordit les lèvres et se détourna brusquement. Il avait conscience de s’être conduit comme l’enfant qu’il ne voulait plus être. Il n’avait plus l’excuse de la drogue que son oncle lui avait fait administrer pendant toutes ces années où il avait été une marionnette entre ses mains. Bien au contraire, il devait se montrer plus fort et plus raisonnable que n’importe quel adolescent de son âge. Il lui fallait donner la preuve éclatante qu’il méritait ce trône qui était pourtant le sien par le sang. Le sang... celui des Lesstrany qui coulait dans ses veines, le sang de Luthien, de Rhamson et des rudes ancêtres qui les avaient précédés aux rênes de la Nextiia... mais aussi le sang qui avait taché ses mains, celui de Hodin, de Ganrael et de leurs partisans. La mort du vieux Duc de Haerliis n’avait pas suffi à calmer certains esprits échauffés. Fidèles à tous crins du Régent et surtout mis hors d’eux par l’abandon de l’invasion du Lusitaan, une poignée d’officiers avait entraîné quelques têtes brûlées dans une rébellion rapidement réprimée. Qu’avaient espéré ces hommes, hormis un baroud d’honneur ? Le Comte de Sassy avait mis un terme brutal à ce sursaut d’orgueil, le dernier, espérait Cosme.

Le jeune Roi serra les poings et se dirigea vers la fenêtre. La salle de travail qu’il s’était choisie ne possédait qu’une fenêtre donnant sur la cour mais elle était assez lumineuse. Il appuya son front sur la vitre réchauffée par le soleil et déglutit. Il avait la gorge trop serrée pour parler. Un autre sang avait coulé pour lui, celui de son cousin Cyril qui, sous la torture, n’avait rien révélé au sujet du coup d’état en préparation.

Rhys avait juré au supplicié qu’il le laisserait mourir ! Il avait osé jurer en utilisant le nom de Belhial ! De quel droit ?

Le Comte de Sassy l’impressionnait. Et le Roi était loin d’être le seul sur qui Rhys produisait cet effet. Il avait surpris de nombreux regards en coin vers le chef des légalistes et y avait lu de la crainte. Sassy n’avait jamais caché à qui allait ses sympathies pas plus que ses aversions mais il était considéré par tous comme un idéaliste peu dangereux. La prise de pouvoir de Cosme avait changé la perception que beaucoup avaient du Comte. La froideur et la rigueur sinon la cruauté avec lesquelles il avait géré la rébellion des officiers avait démontré aux Grands Vassaux qu’ils avaient tout intérêt à marcher droit. Il avait fait pendre les meneurs sous les yeux des soldats et consigné ceux-ci dans les casernes afin qu’ils eussent tout loisir de réfléchir à la meilleure ligne à suivre. Les Thuás, du moins ceux qui avaient échappé à la purge visant les affidés de Ganrael, n’avaient pas accès à leurs Sciathánn. Même ceux qui professaient de l'admiration pour le Ceannasaith Fershield. Avec une célérité presque effrayante, le Comte avait rétabli l’ordre. Les exécutions et les incarcérations qu’il avait ordonnées au nom du Roi ne paraissaient pas l’avoir affecté.

Mais comment pouvait-il être aussi calme alors que la fièvre tuait Cyril, dont il se disait l’ami ? Cosme évacua difficilement la boule qui endolorissait sa gorge.

Est-ce parce que mon cousin nous a trompés que vous ne voulez pas qu’il vive ? reprocha-t-il.

Alors même qu’il formulait cette accusation, il avait conscience d’être injuste. C’était pour cela qu’il regardait la cour presque vide, deux étages plus bas et non le Comte debout près du bureau de bois clair qui occupait le centre de la pièce.

Il a servi son souverain comme j’ai servi le mien, Sire, répliqua Sassy calmement. Je n’ai aucun grief contre lui. Et je souhaite qu’il vive. Seulement, lui, il ne veut pas juste survivre. Et je le comprends.

Le jeune Roi évoqua malgré lui l’image d’un Fær Thuás privé de ses jambes. Il ouvrit les mains et détendit nerveusement ses doigts, les étirant presque jusqu’à la douleur. La vision était certes disgracieuse mais l’amputation des membres guettés par la gangrène n’empêcherait pas Cyril de voler. Cosme joignit ses mains pour couper court au mouvement convulsif de ses doigts. Ce tic récent l'irritait. Il se retourna enfin, prêt à affronter le regard sans concession du Comte de Sassy... Duc de Sassy très bientôt. Dans quelques heures, Cosme signerait le document qui élevait le domaine de son fidèle au rang de Duché. Rhys l’en avait remercié sans effusion inutile. Ce titre ne l’intéressait véritablement que par la légitimité et l’autorité qu’il lui apporterait dans ses rapports avec les autres Grands Vassaux.

Je sais que je me montre égoïste. Je pense sans doute plus à moi qu’à mon bien-aimé cousin. L’affection qu’il m’a portée au cours de ces derniers mois me l’a rendu indispensable. J’ai besoin de lui. S’il meurt...

Un sanglot sec l’interrompit. Rhys le considéra avec gravité.

Vous chérirez son souvenir, Sire.

Oui...

Il n’avait que faire d’un souvenir. Ce qu’il désirait, c’était la présence chaleureuse et la tendresse quasi fraternelle de son admirable cousin. Il avait envisagé, espéré, rêvé tant de possibilités qui s’offriraient à eux, une fois le trône repris à Hodin Angon de Lesstrany et à son fils. La mort étendait son ombre sur Cyril mais elle n’était pas inéluctable. La vie avait encore son mot à dire. Rhys se chargea de le ramener à une réalité qui, si elle s’avérait moins triste, ne le réjouissait pas pour autant :

S’il vit, vous le perdrez aussi. Une autre personne n’a-t-elle pas préséance sur ses sentiments ?

Cosme crispa ses doigts puis les raidit plusieurs fois d’affilée. Une émotion complexe l’agitait à l’égard de la Suprême. Il lui devait son trône et plus encore, sa vie, parce que Aminta lui avait envoyé son propre favori. Mais elle allait le réclamer à son côté maintenant qu’il avait accompli sa mission. La Lusitaane faisait désormais figure de rivale. Cosme se taxa silencieusement de puérilité. Et pour se mortifier, il ordonna :

Préparez-moi de quoi écrire. Il me faut rédiger une missive à l’adresse de la Suprême du Lusitaan pour l’informer de mes intentions et... de l’état de son favori.

Sassy lui adressa un sourire approbateur. Cosme en éprouva de la fierté. Il venait de faire un pas de plus sur la voie ardue du pouvoir. Il avait tôt compris que ce dernier ne consistait pas à exiger des avantages mais bien plutôt à consentir des sacrifices. Il savait que ce serait souvent difficile voire pénible d’y cheminer en faisant abstraction de ses désirs personnels. Il aurait besoin d’un soutien et le chef des légalistes lui apparaissait comme une colonne sur laquelle s’appuyer. Il ne doutait pas de sa fiabilité et de son dévouement. Bien sûr, il aurait aimé étayer son trône encore fragile avec un autre pilier. Cyril lui était plus proche par le cœur et par le sang. Mais il ne lui appartenait pas. Le jeune Roi contint un soupir et s’assit à son bureau tandis que Rhys plaçait devant lui le matériel demandé. Cosme leva devant ses yeux la grande feuille et examina le monogramme tissé dans l’épaisseur du papier chiffon. L’initiale contournée s’entrelaçait à une guirlande complexe. Il eut une brève grimace. Au lendemain du coup d’état, il avait commandé une série de feuillets au seul papetier de Kurvval. Il ne se voyait pas écrire sur du papier aux initiales de son défunt père et encore moins à celles du Régent exécuté. Mais le résultat ne le satisfaisait pas vraiment. Il lui faudrait trouver quelque chose de plus simple... lorsqu’il en trouverait le temps. Pour l’heure, il importait de tenir ferme les mors passés aux Grands Vassaux apparemment matés mais remâchant sans doute leur amertume. Beaucoup s’étaient déjà vus piétinant les Lusitaans, s’emparant de leurs richesses et lutinant leurs femmes.

Il faut leur trouver une occupation.

Sire ?

Cosme se rendit compte qu’il venait de penser tout haut. Il reposa la feuille et leva les yeux vers Rhys qui se tenait à sa droite.

Je songeais aux Grands Vassaux et aux autres Seigneurs. Ils s’étaient préparés pour la guerre.

Et le sang doit encore bouillir dans leurs veines, railla le chef des légalistes.

Pourquoi pas les pirates ? Mon oncle, tout à son projet d’invasion, ne s’en est pas préoccupé et ils ont repris du service.

C’était, de surcroît, une œuvre de salubrité publique. Elle permettrait aussi de trouver un emploi aux navires armés pour l’invasion et qui se trouvaient immobilisés dans les ports du sud. Un ramassis de renégats de différents Royaumes avait de tout temps écumé les mers. Luthien avait mis un frein à leurs coupables activités mais Hodin les avait laissé reprendre du poil de la bête.

Excellente idée, d'autant plus qu'ils ont dû ramasser un confortable butin ! approuva Rhys. Mais la plupart de nos Nextiians n’ont pas le pied marin. Il nous reste les turbulentes tribus de Nord Est. De plus, c’est la bonne saison.

Cosme eut une moue dubitative.

Mais c’est à peine si on en entend parler en ce moment.

Le Comte de Sassy émit un bref ricanement.

Une discrète provocation et je vous fais le serment, Sire, qu’elles se réveilleront afin d’offrir à nos bouillants guerriers un terrain de jeu à leur mesure et une superbe occasion de gagner la gloire ou une place de choix dans la Cohorte des Héros.

Le jeune Roi haussa les sourcils sans chercher à masquer son étonnement teinté d’admiration.

Dire que certains vous tenaient pour un doux rêveur !

Rêveur certes mais doux ? Si peu, comme ils ont pu s’en rendre compte, rétorqua Rhys avec un sourire en coin. Je voulais donner à penser que je ne présentais guère de danger pour que mon rêve puisse se réaliser.

Il posa ses mains sur le bureau, se pencha légèrement en avant et en revint à la missive encore à l’état de projet.

Qu’allez-vous écrire à votre royale voisine ?

Cosme regarda la feuille vierge. Le doute le saisit soudain.

Saurai-je m’exprimer comme il sied ? Je crains qu’Aminta de Lusitaan ne me prenne pour un enfant.

Vous ne l’êtes plus, Sire. Vos Grands Vassaux peuvent en témoigner ! Soyez juste vous-même. Ne reniez pas votre jeunesse. Elle vous autorise de grands espoirs.

Cosme hocha la tête. Les paroles de son conseiller le touchaient profondément. Il prit la plume à réservoir, une invention récente venue du Siérain et commença à tracer de sa haute écriture :

« À la Suprême Aminta, Reine régnante du Lusitaan, moi, Cosme de Lesstrany, Roi de la Nextiia, j’adresse mes salutations les plus chaleureuses ainsi que l’expression d’un respect dû à une souveraine de plus d’expérience. Apprenez par moi, si vous ne le savez déjà, que mes fidèles m’ont porté sur le trône qui me revient de droit par filiation directe. Le Régent de la Nextiia, mon oncle Hodin Angon de Lesstrany, ainsi que son fils Ganrael, Duc de Cheelsey-Lesstrany et certains de leurs partisans ont payé de leur vie leur opposition à l’ordre naturel des choses.

Je suis Roi dorénavant, non seulement de nom mais aussi de fait. C’est donc par mon autorité établie que je mets un terme aux projets détestables du Régent. Je ne désire que la paix et l’entente entre nos deux Royaumes et ose espérer qu’il en est de même pour vous.

Cyril Certys, Duc de Fershield-Veel, mon cousin et très cher ami, n’a pas peu contribué à mon élévation. J’ai pour lui beaucoup d’affection et une profonde gratitude. Car sans lui, je serais mort ou en passe de l’être. Car mon oncle avait entrepris de m'empoisonner lentement après avoir provoqué la mort de mes parents. Son but était de régner à travers moi puis de mettre son fils à ma place sur le trône. Mais... »

Le jeune Roi interrompit la course de sa plume. Il jeta un regard circonspect aux lignes déjà tracées d’une écriture encore un peu enfantine. Le plus dur restait à écrire. Du regard, il chercha le soutien de Rhys. Le Comte hocha la tête avec un sourire d’encouragement. Il savait à quel obstacle se heurtait Cosme : comment raconter l’indicible et assumer son propre chagrin. L’adolescent mordilla longuement son pouce. Des bouts de phrases se bousculaient dans son esprit sans qu’il en trouvât un seul satisfaisant. Il souffla d’exaspération puis se décida à terminer sa lettre... pas la peine d’en dire trop. Juste l’essentiel et c’était déjà assez difficile.

« ... j’ai la très pénible tâche de vous apprendre que le Régent a compris que Cyril œuvrait en secret pour me rétablir dans mon droit et empêcher la guerre. Il l’a fait enlever et torturer pour qu'il révèle nos plans. Cyril ne m’a pas trahi. Il est vivant mais grièvement blessé. Nous ne désespérons pas de le sauver. »

Inutile de parler du serment arraché au Comte de Sassy qui compromettait les chances de survie du supplicié. Aminta, sans doute, ne comprendrait pas que l’on ne passât pas outre. Cosme releva la tête.

Qui puis-je envoyer en ambassade auprès de la Reine ?

Rhys réfléchit un instant puis proposa :

Sire, que pensez-vous du Baron Diesley ? Son aspect un peu rustre dissimule un esprit vif et une grande facilité de parole. Le Comte Piotr Rellys est de noblesse plus ancienne, il lui apportera une sorte de caution. Et vous pouvez confier la partie représentation au Duc Rehibal de Garlôn, qui a été le premier à se rallier à vous. De la sorte, vous l’attacherez plus sincèrement à votre service.

Bien. Allez les prévenir d’avoir à se préparer à partir au plus tôt. Je les recevrai dans une demi-heure pour leur signifier mes dispositions.

Je les fais venir ici ou dans la salle du trône ?

Ici. Inutile d’être trop solennel. Un navire à aubes doit se tenir prêt à appareiller. Envoyez un Avian avec des instructions précises. En attendant, je vais achever cette missive. Il faudra la faire parvenir au plus tôt à la Suprême afin que ses marins ne coulent pas le vaisseau transportant mes envoyés.

Je m'en occupe dès que j'aurai transmis votre convocation. Le Captaen Elnar de Surgham me semble convenir pour cette mission qui comporte des risques certains : c'est un Fær Thuás de talent, et qui plus est, un ami de Cyril. Il choisira lui-même ses hommes.

Une fois Rhys parti pour relayer ses ordres, le jeune Roi revint à son devoir d’écriture.

« Les hommes que j’envoie ont ma confiance pour renouer entre nous les liens de la paix et de la considération. »

Cosme fronça le nez. Cette formulation ne paraissait-t-elle pas trop pompeuse ? Puis il secoua la tête. Peu importait le style, l’important était la signification que revêtaient les mots. L’adolescent, bien qu’issu d’un peuple rude et batailleur, n’aimait pas la guerre. S’il fallait la faire, pour se protéger d’un voisin trop gourmand par exemple, il s’y résoudrait. Mais se lancer à l’assaut d’un autre Royaume sous prétexte de venger un affront ou récupérer quelques rochers isolés en pleine mer ne le motivait guère. Non, il ne voulait pas de cette invasion pour laquelle le défunt Régent avait œuvré et il devait en convaincre son homologue.

« Le Duc de Garlôn, le Comte Rellys et le Baron Diesley vous confirmeront mes bonnes intentions à votre égard tout comme, par cette lettre, je vous assure de mon sincère désir de conclure avec vous, Suprême Aminta de Lusitaan, une entente et une paix durables. Puissiez-vous, dès la réception de cette lettre, m’adresser quelques-uns de vos nobles hommes ! »

N’était-ce pas un peu trop péremptoire ? Il voulait transcrire son espoir de voir rétabli rapidement les relations entre les deux royaumes. Il demanderait à Sassy de relire la missive. Un léger sourire détendit son visage. Repoussant la feuille à demi remplie, il en prit une autre dans le portefeuille en cuir verni et écrivit sans cesser de sourire :

« Par la présente, moi, Cosme de Lesstrany, fils de Luthien, Roi de Nextiia, je fais mon fidèle serviteur et ami, Rhys de Sassy, Duc et membre à vie de mon Conseil... »

Un instant, il avait pensé lui octroyer le titre de Duc de Cheelsey et l’apanage afférent mais il s’était dit que ce n’était pas, après tout, une bonne idée. Rhys n’aurait pas apprécié de succéder à Ganrael. Il était préférable d’ériger en Duché la terre de Sassy.

 

Mais lorsque Cosme reprit la lettre à Aminta, ses traits se crispèrent. La vision de Cyril emporté par la gangrène le taraudait à nouveau. En tant que son souverain, il pouvait encore ordonner d’en venir à cette extrémité. Le Duc de Fershield était Nextiian et en conséquence, il lui devait hommage et obéissance. Mais si Cosme passait outre sa volonté, Cyril le haïrait. Pourtant il vivrait ! Le jeune Roi essaya d’imaginer son bouillant cousin privé de ses jambes, condamné à être transporté dans une chaire à bras et à subir les regards apitoyés. Il n’y parvint pas. Cyril se tuerait plutôt que de survivre de la sorte.

Cosme posa sa plume et couvrit son visage de ses mains. Les larmes envahirent ses yeux et coulèrent entre ses doigts. En quelques mois, le fils de Guenièvre de Veel avait pris dans sa vie et dans son cœur une place prépondérante, devenant pour l’adolescent esseulé le frère dont il avait secrètement rêvé... Le fait que Cyril fût aussi le fils de Hodin Angon de Lesstrany n’y changeait rien. Ni que les liens tissés entre eux deux eussent servi les desseins du faux transfuge. Son cousin éprouvait de l’affection à son égard. Pas aussi profonde sans doute que celle que Cosme lui portait mais bien réelle.

Une larme s’écrasa sans bruit sur la feuille.

Chapitre vingt

   

Le cœur battant, la Suprême du Lusitaan s'immobilisa à quelques pas de la salle du Conseil où l'attendaient les Grands Vassaux. Elle regarda le rouleau quelque peu froissé qu'elle serrait dans sa main gauche et inspira profondément. Elle en connaissait les mots presque par cœur car elle l'avait lu cinq fois avant d'en accepter la teneur. Elle prit le temps de se composer un visage indéchiffrable avant de pénétrer dans la pièce où les Conseillers s'impatientaient d'apprendre pour quelle urgente raison leur souveraine les avait convoqués.

Pour l'occasion, Aminta avait revêtu son grand uniforme, blanc et or, le même qu'elle portait le jour de la remise des diplômes à l'Académie des Ailes. En s'examinant dans le miroir en pied, elle avait souligné d'un bref sourire goguenard le fait que le haut de chausse la serrait un peu. Depuis sa grossesse, elle n'avait pas beaucoup pratiqué la chasse et les autres sports qui affinaient sa silhouette. Elle ne manquerait pas de s'y remettre lorsque Cyril serait revenu auprès d'elle. S'il revenait... sous les mots lénifiants du petit Roi nextiian, elle avait décrypté l'incertitude qui le minait lorsqu'il avait écrit : « Nous ne désespérons pas de le sauver. » Cela signifiait aussi bien : « L'espoir qu'il survive à ses blessures est mince. ». L'angoisse de son jeune homologue était devenue la sienne.

Placés de part et d'autre de la porte close, deux gardes zélés la saluèrent puis celui de droite s'empressa de lui ouvrir le battant qui n'étouffait guère un brouhaha animé. Lorsqu'elle entra d'un pas décidé, les conversations s'estompèrent rapidement. Les hommes, pour la plupart debout, fixèrent sur la souveraine des regards lourds d'interrogation, sous des sourcils froncés ou levés haut selon la personnalité de leurs propriétaires. Le message roulé dans la main d'Aminta attirait aussi leur attention. Ils n'ignoraient pas que cet écrit venait en droite ligne de la Nextiia.

Messeigneurs, veuillez vous asseoir, leur ordonna-t-elle froidement.

Avant même que la réunion fût commencée, elle avait hâte d'en voir la fin. Cependant, elle ne pourrait rien savoir de plus au sujet de Cyril avant plusieurs jours. Elle devait dompter son impatience et surmonter sa peur. N'avait-elle pas eu deux années pour s'exercer ?

Elle dévisagea rapidement les hommes enfin installés autour de la table ovale et les jugea sans concession. Les uns affichaient un air bravache, histoire de lui montrer qu'ils étaient prêts à en découdre, voire à risquer leur vie pour la sauvegarde du Royaume, les autres, plus nombreux, essayaient de masquer leur inquiétude sous un air déterminé. Erri se positionnait dans la première catégorie alors même qu'Aminta savait quels cauchemars l'assaillaient la nuit, lorsqu'il lui arrivait de s'endormir dans le lit de son épouse. Elle entendait déjà les soupirs de soulagement qui s'élèveraient à l'annonce de la teneur du message. Restant debout près de son siège, elle déroula le feuillet bien qu'elle n'eût pas l'intention de leur en lire le contenu.

Vous êtes au courant qu'un message en provenance de la Nextiia m'est parvenu. Une escouade d'Avians nextiians a traversé le détroit avant-hier. Ce matin, leur officier, le Captaen de Surgham, est arrivé à Nestoria, escorté par quelques-uns de nos pilotes, et m'a remis cette lettre de la main même du Roi Cosme.

Aminta marqua une pause afin que ses auditeurs prissent déjà la mesure de ce qu'elle avait à leur apprendre. Elle confirma ensuite ce qu'ils avaient, pour la plupart, déjà compris :

Oui, de la main du Roi et non du Régent, car Hodin Angon de Lesstrany a péri voici trois jours sous les poignards des partisans de Cosme. Son fils Ganrael ainsi que ses fidèles ont été exécutés. Cosme me fait part de son intention de mettre fin aux projets belliqueux de son oncle. Il affirme ne désirer que la paix et l’entente entre nous.

Les exclamations fusèrent. L'annonce ôtait la chape d'incertitude qui pesait depuis le début de la tension entre les deux Royaumes. La face de deux ou trois va-t-en guerre, dont le Comte de Tyitan, qui avait rêvé de s'illustrer au combat à l'égal d'un lointain ancêtre, refléta leur déception mais nul ne mit véritablement en doute la sincérité du Nextiian. Le Duc d'Ornaan sollicita seulement confirmation, une fois le silence revenu :

Quelles garanties aurons-nous que telle est bien la volonté du Roi nextiian ?

Il nous envoie un de ses Grands Vassaux et deux Seigneurs de moindre importance et me demande de bien vouloir désigner un ambassadeur avec lequel il négociera le retour à de meilleures relations. J'ai pensé à vous, mon cousin.

Vous m'en voyez honoré, Majesté ! accepta Sydartas.

Aminta lui rendit son salut d'une inclination de tête et allait préciser ce qu'elle attendait de cette mission lorsque, d'une voix rogue et méprisante, Erri lança :

Le Nextiian vous informe-t-il, ma Dame, du sort réservé au traître Cyril Certys ? J'espère qu'il a été exécuté en même temps que le reste de la racaille barbare.

Les partisans du Consort présents au Conseil approuvèrent sans retenue son intervention mais le regard glacial de la Reine les ramena vivement à plus de circonspection.

En effet, Cosme de Lesstrany, souverain de la Nextiia, m'a écrit au sujet du Comte Certys, Duc de Fershield-Veel, son cousin bien-aimé. Il me dit que, sans son soutien et son sacrifice, le Régent aurait fini par le tuer et aurait mis son propre fils sur le trône. Alors, Prince, et vous tous, mes sages Conseillers, il est temps pour vous d'apprendre que cette paix qui nous réjouit tant, nous la devons à Cyril Certys.

Malgré sa secrète souffrance, Aminta apprécia à son juste prix la palette des émotions qui s'inscrivirent sur les visages levés vers elle. Incompréhension, incrédulité, confusion, dépit pour certains, admiration contrainte pour d'autres, les sentiments de ces hommes qui s'étaient félicités de la chute du favori valaient leur pesant d'or. Elle précisa, savourant chaque mot qu'elle enrobait de fierté :

— Le Comte Certys a admirablement joué le rôle du traître afin de gagner la confiance du Régent de la Nextiia. Il a affronté de plein gré l'incarcération, une évasion risquée, au cours de laquelle il a manqué perdre la vie et deux années de dissimulation et de danger permanent pour empêcher Hodin Angon de Lesstrany de mener à bien son dessein belliciste.

Aminta s'interrompit, la gorge nouée. Il se pouvait qu'au moment même où elle le réhabilitait, Cyril eût succombé à ses blessures. La missive de Cosme datait déjà de quatre jours. Elle implora une nouvelle fois les Dieux de ne pas permettre l'intolérable : celui qui avait sauvé la paix méritait bien d'être sauvé à son tour !

Majesté, vous disiez que le Roi Cosme a parlé du sacrifice du Comte Certys. Se référait-il à sa mission d'infiltration ?

La Reine se tourna vers Sydartas d'Ornaan. Avec son habituelle finesse, son cousin avait senti qu'elle celait un tourment plus récent que l'affliction qu'elle avait déguisée à tous au long des deux années de séparation. Elle lui adressa un léger sourire reconnaissant.

À l'heure où je vous parle, Messeigneurs, j'ignore si le sauveur de la paix, le Comte Certys, est encore en vie. Car il a été sauvagement torturé sur les ordres du Régent peu avant que celui-ci ne meure sous le poignard. Néanmoins, Cyril a protégé le complot des légalistes en ne révélant rien à ses bourreaux.

Aminta croisa les doigts pour contraindre leur tremblement ainsi que l'envie de gifler son époux. Erri s'efforçait de cacher le plaisir qu'il éprouvait à envisager l'agonie du favori mais, contrairement à Cyril, il n'était pas doué pour jouer la comédie. Elle imagina qu'en son cœur narcissique, le Prince formulait une supplique assortie de promesses afin que les divinités abrégeassent les souffrances de son rival.

La Reine s'astreignit à ignorer ce bel homme vain qu'elle avait épousé par défaut. Il avait fallu l'éloignement et la trop longue absence de son ami de cœur pour qu'elle s'avouât enfin que Cyril était le seul époux qu'elle désirait dans sa vie et dans son lit. À quel point enviait-elle la fade Artémisia ! Cette vierge achetée par elle à un père désargenté avait connu une intimité dont Aminta avait rêvé sans vraiment l'admettre.

Repoussant l'image de Cyril brisé par la torture, peut-être mourant à des centaines de lanis d'elle, la Reine parcourut d'un regard sévère les visages tendus de ses Conseillers. Tous avaient hurlé au loup, tous avaient réclamé la tête du sang-mêlé. Maintenant qu'il s'avérait que le Comte Certys n'avait rien d'un traître mais tout d'un héros, qu'il avait bravé les pires dangers pour le Lusitaan jusqu'à peut-être donner sa vie, ces grands Seigneurs ne savaient comment réagir. Elle éprouva une vague pitié pour ces hommes qui aspiraient à ce que leur souveraine oubliât leur manque de jugement. Cyril avait si bien joué son rôle qu'elle même aurait pu y croire si elle n'avait pas été partie prenante dans la conspiration.

Grâce au Comte Certys, la guerre et son cortège de souffrances ont été évités. Que les tambours rassemblent le peuple sur la Place Royale ! Cet après midi, je ferai une déclaration solennelle. Comte-Intendant de Resuicce et vous aussi, Comte de Flers, je vous charge d'organiser les festivités qui célébreront la paix. Une cérémonie d'actions de grâce débutera les célébrations partout dans le Royaume. Des émissaires doivent être dépêchés auprès des instances locales. Une proclamation sera lue dans chaque ville et village. Duc de Nars, votre talent littéraire vous désigne pour rédiger le panégyrique du Sauveur de la Paix, Cyril Certys, Duc de Lindia et de Fershield-Veel. Ne tardez pas à vous mettre au travail, je veux lire votre prose laudatrice avant la fin de la matinée.

 

Après avoir distribué les rôles à chacun hormis à Erri à qui elle n'avait jamais d'ailleurs confié la moindre tâche d'importance, Aminta prononça la clôture de la réunion. Remettant à plus tard d'accéder à la curiosité quelque peu gênée de Sydartas, elle confia au Comte de Gham dont elle appréciait l'urbanité la mission d'aller quérir Artémisia Certys. Lorsque les rumeurs de guerre s'étaient propagées, l'épouse de Cyril avait quitté sa retraite de Causse-Domergue et logeait en toute discrétion dans l'hôtel que la mansuétude de la souveraine lui avait conservé.

Avant de gagner ses appartements où Gham avait pour instruction de conduire la jeune femme, Aminta fit un détour par la nourricerie. À peine en eut-elle poussé la porte qu'elle fut accueilli par des gazouillis. L'insouciance joyeuse de son fils lui arracha un sourire.

Majesté ! s'exclama une forte femme tout en accueillant la souveraine par une profonde révérence dont elle eut quelque mal à se relever.

Eh bien, ma bonne Marta, comment se porte notre petit prince ce matin ?

La nourrice désigna l'enfant qui, appuyé aux barreaux de son parc en bois précieux tendait ses petits bras vers sa mère, et émit un rire en cascade qui masquait mal une inquiétude n'ayant, heureusement rien à voir avec la santé du jeune Raynaud.

Il profite de chaque instant où il ne dort pas pour découvrir le monde, voyez-vous même quel vif et adorable bambin nous avons là, roucoula la brave femme.

Aminta prit son fils dans ses bras et embrassa ses joues moelleuses avant de nicher son nez dans les boucles soyeuses qui fleuraient bon l'eau de lavande. Le petit garçon éclata de rire et se mit à jouer avec les ornements de l'uniforme.

Quel plaisir que l'insouciance bienheureuse d'un enfant! soupira-t-elle dans le cou mollet de Raynaud. Puis elle se tourna vers la nourrice qu'elle avait engagée elle-même. Elle l'avait voulue solide, fiable et surtout issue du peuple et non de la noblesse, contre l'avis d'Erri à qui elle avait rétorqué que son héritier serait proche de tous ses sujets. Elle remarqua :

Marta, un souci vous mine. N'hésitez pas à vous confier à moi.

La nourrice ne put empêcher l'embarras de rougir plus encore ses joues rondes et balbutia :

Majesté, c'est que... en fait, je... nous avons entendu que des Nextiians étaient arrivés en Lusitaan, des Avians ! Vont-ils nous envahir ?

Rassurez-vous, ma chère Marta, ces Nextiians-là sont des envoyés de paix. Leur Roi, Cosme, ne veut plus nous faire la guerre.

La domestique plaqua une main tremblante sur sa vaste poitrine et gémit de soulagement.

Par la pitié des Dieux ! Que le ciel en soit loué, et même les esprits qui sont sous la terre ! J'avais tant peur depuis que cet homme, ce Régent maudit, avait décidé qu'il voulait nous avaler tout cru.

L'expression de la nourrice fit sourire Aminta qui précisa :

Il n'avalera plus jamais personne car il a péri.

Je ne le pleurerai pas, ça je vous le jure, Majesté !

La Reine retint une grimace de douleur, Raynaud ayant tiré vigoureusement sur une mèche de ses cheveux. Elle n'avait pas le cœur à le gronder et se contenta de desserrer sa petite main. Elle déposa un baiser sur les doigts un peu poisseux et reposa l'enfant dans son parc.

Comme vous pouvez l'imaginer, j'aurai beaucoup à faire aujourd'hui et dans les jours qui viennent. Je n'aurai guère de temps à consacrer à mon fils. Vous l'amènerez à mon cabinet de travail lorsque je vous ferai mander.

Aminta se baissa pour embrasser Raynaud sur le front puis se dirigea vers la porte sans tenir compte des protestations du garçonnet.

 

Elle regardait sans vraiment les voir les toits de la cité rassemblés comme un troupeau autour de la protection tutélaire du Palais royal. Ses pensées se fixaient presque malgré elle sur un objet unique, Cyril, et engendraient en son esprit une peur qu'elle avait du mal à endiguer. Jusqu'au moment où elle avait lu la missive du jeune Roi nextiian, elle s'était interdit d'imaginer que son favori pût rencontrer la mort au cours de la mission dont il avait eu la folle idée et le courage insensé de la mener à bien. Dorénavant, la terrible vision du corps sans vie de Cyril, exsangue et broyé par la torture s'imposait à elle. Comment avait-elle pu se laisser convaincre ? Il avait été si persuasif. Dans le jeu qui allait se jouer contre la Nextiia, lui seul détenait des cartes maîtresses. Lui seul savait quand et comment les abattre pour emporter la partie. Il avait gagné mais à quel prix !

L'on toqua à la porte. Elle se reprit rapidement avant d'autoriser l'entrant. Le Comte de Guam la salua puis s'effaça pour laisser passer Artémisia Certys. L'épouse de Cyril pénétra dans la pièce sans hésiter puis effectua une révérence parfaite dans le doux bruissement de la soie. Aminta n'avait pas revu la jeune femme depuis près de deux années et se fit aussitôt la réflexion que le qualificatif de fade ne lui convenait plus. La Comtesse Certys avait gagné en maturité et en assurance. La joliesse qui avait joué en sa faveur dans le choix que la souveraine en avait fait pour son favori, charmante mais effacée avait évolué en une beauté sereine.

Relevez-vous, Comtesse, et soyez la bienvenue. J'ai appris que vous étiez revenue dans la capitale depuis peu.

Votre Majesté, je suis très honorée de me retrouver en votre présence. Je ne m'imaginais pas rester en Lindia alors que couvait des rumeurs de guerre.

D'autant plus que votre époux est concerné au premier chef.

Face à cette belle jeune femme qui soutenait sans embarras son regard, Aminta se demanda si elle allait lui parler de la véritable raison de sa convocation. Pour la première fois, elle entrevit en Artémisia une possible rivale. Lorsqu'elle avait quasiment obligé Cyril à prendre une épouse, ses propres motivations lui étaient restées nébuleuses. Désirait-elle qu'une femme lui apportât ce qu'elle ne pouvait lui donner ? Ou le lier plus étroitement à elle par le biais d'un mariage de convenance ? La Comtesse avait acquis une personnalité qui, peut-être, ne laisserait pas Cyril indifférent. Aminta se mordit nerveusement l'intérieur de la joue. À l'heure où ces mesquines pensées traversaient son esprit tourmenté, Cyril avait peut-être déjà rendu son dernier soupir. Elle se raidit et rejeta l'effroyable hypothèse : si son bien-aimé était mort, elle aurait aussitôt ressenti le poids de la perte. Alors, elle décida de s'en tenir à son projet.

Comtesse, apprenez que la menace d'une guerre avec la Nextiia a disparu. Et que c'est à Cyril que nous le devons. Lisez cette lettre.

Elle tendit la missive de Cosme à l'épouse du Comte Certys. Soudain pâle, la jeune femme la déroula d'une main tremblante.

     

Artémisia passa le doigt sur la trace à peine visible qui semblait sceller la lettre du jeune Roi nextiian. Il avait pleuré sur son époux. Ses yeux à elle restaient secs, non pas par dureté de cœur mais à cause d’Aminta. La Suprême avait reporté son regard sur l'extérieur comme si elle ne voulait pas déranger la jeune femme pendant sa lecture. Mais sa présence s'imposait à Artémisia car tout ce qu'avait affronté son époux, il l'avait fait par passion pour la Reine.

Elle soupira. Devait-elle se réjouir d’apprendre que Cyril Certys n’était pas le traître que tous méprisaient ? Elle n'y parvenait pas. Il allait peut-être mourir et certains s'en féliciteraient, le parant à titre posthume du titre de héros.

Artémisia posa le manuscrit sur un guéridon, une merveille de nacre et de bois exotique, puis attendit que la souveraine s'intéressât à elle. Plongée dans des pensées qui avaient sans nul doute trait à son favori, Aminta n'en émergea qu'au terme d'un assez long moment. À l'avis d'Artémisia, la peine de la Suprême devait excéder la sienne car s'y mêlait la culpabilité. La vaste tromperie à laquelle s'était livré Cyril n'aurait pu se faire sans son aval. Elle confirma l'opinionde sa visiteuse :

Votre époux, Comtesse, s'est juré d'empêcher que la Nextiia entre en guerre contre le Lusitaan. Il savait que nous en pâtirions durement. Je ne voulais pas qu'il s'exposât à tant de dangers. Il a su cependant me convaincre que lui seul, de par sa parenté avec le Régent, pouvait l'approcher, gagner sa confiance et porter le coup décisif. Envers et contre tous, il a réussi. Ne lui en veuillez pas de vous avoir laissée dans l'ignorance. Le secret le plus absolu était indispensable au succès de la mission.

Majesté, je n'ai gardé contre Cyril ni colère ni animosité. Je ne l'ai pas jugé, encore moins condamné. Ce que vous m'apprenez ne m'étonne guère de sa part. Sans doute l'espérais-je, répondit posément Artémisia.

Aminta parut sur le point de s'engager dans une confidence mais, d'un claquement de lèvres, elle clôtura l'échange puis en vint au motif de la venue de la jeune Comtesse.

Dans deux jours au plus tard, le Duc Sydartas d'Ornaan part pour Kurvval, avec un mandat d'Ambassadeur extraordinaire auprès du Roi Cosme. Il me serait agréable que vous l'accompagniez, Artémisia, afin de veiller que votre époux bénéficie des meilleurs soins jusqu'à ce qu'il puisse revenir en Lusitaan.

La demande faite sur un ton presque implorant laissa la jeune femme pantoise l'espace de quelques respirations. La Reine la priait de se rendre dans un Royaume qui venait à peine de renoncer à assaillir le Lusitaan dans le but de lui ramener son favori en bonne santé, cet ami de cœur se trouvant être son époux. Elle retint un rire nerveux et s’apprêta à refuser poliment mais sèchement lorsqu'elle se rendit compte que la Suprême lui offrait une magnifique opportunité, celle de voyager au-delà des mers et de voir s'ouvrir des horizons qu'en tant que femme, elle aurait eu peu de chance de se voir proposer. Et puis, il fallait bien qu'elle reconnût, si elle ne voulait pas se mentir à elle-même, qu'elle n'avait cessé d'éprouver envers Cyril un sentiment qui s'apparentait à de l'amour. Elle accepta donc.

 

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