FABLE : Le renard et le chat
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Un renard et un chat, tous deux fieffés compères,
Pour fêter l'an nouveau, partirent en voyage.
Les astucieux larrons quittèrent leur repaire,
Quelques croûtons de pain pour unique bagage.
De prime le chemin fut plaisant et joyeux.
Chat et renard fringants marchaient d'un pas allègre,
Humaient les doux parfums et régalaient leurs yeux.
Mais n'ayant pas choisi pour partir un jour maigre,
Bientôt leur estomac tomba dans leurs talons.
Le ventre du goupil se mit à grommeler.
« Je croquerais, dit-il, entier, un étalon !
- J'en vois un dans ce pré, un beau, un pommelé ! »
L'avisa le matou, riant dans ses moustaches.
Le rouquin circonspect jugea que le festin
Présentait quelque écueil, bien qu'il ne fût pas lâche.
Un seul coup de sabot scellerait son destin !
Minet, lui, se voyait dégustant un bon steak
Car déjà le soleil entamait son déclin.
Il aurait avalé un jars plumes et bec,
Ou gobé un cent d'œufs en un unique clin.
Mais l'habitant du pré toisait presque deux mètres
Et de quatre sabots ses pieds étaient chaussés.
A peine dans son champ, il les enverrait paître
Les étoiles au ciel ou l'herbe du fossé.
Renard n'était pas chaud à tenter l'aventure,
Le chat s'en aperçut à sa mine sournoise.
« Je suis de la noblesse et lui de la roture,
Je déciderai donc sans supporter de noise
L'habile stratégie qui nous vaudra bombance »
Le félin sûr de lui prit un air important :
« Voilà comment agir : Par une absurde danse,
Je distrairai l'équin et toi pendant ce temps,
Tu sautes sur son dos et le mords au garrot ! »
- N'est-ce pas trop risqué que d'aller se frotter
A ce fier animal ? Tenons-nous à carreau !
- Je prends tout le danger. Toi, tu n'as qu'à sauter ! »
Ce qui fut dit fut fait : le minou se trémousse
Sous les yeux étonnés du festin escompté.
Profitant du répit, soudain la bête rousse
Bondit, crocha des dents et crut avoir dompté
Le paisible bourrin un instant dérouté.
De quel droit ces deux-là, avortons faméliques,
Prétendaient-ils ainsi l'empêcher de brouter ?
La bête sur son dos, accrochée comme tique,
Fut sa priorité. Ruant des quatre fers,
Le cheval furibond secoua le goupil,
Et pour en terminer, l'envoya dans les airs.
Sur sa face effarée, le rouquin tomba pile.
Il y laissa ses dents, plantées dans le gazon.
Le greffier prudemment se mit hors de portée
Car sur la male faim l'emportait la raison.
« Faquins, marauds, brigands, de ma prairie sortez ! »
L'étalon fort fâché n'eut pas à répéter,
Nos deux globe-trotters aussitôt s'esquivèrent.
Le renard édenté, en hiver comme été,
Ne pourrait plus manger que laitues et que vers.
En mâchonnant ses mots, le rouquin prit grand soin
De maudire à jamais la satanée monture.
Qui veut voyager loin ménage ses morsures
Et pour garder ses dents se nourrira de foin.