Poème : chants du rebelle
SUR LA MONTAGNE
Quiconque me verrait, pour dément me tiendrait.
Je vocifère, seul, pétrifié sur l'adret
D'un pic ardu dont le roc s'abreuve du sang
De maints compagnons, ceux-là étaient mille et cent
Qui ont mêlé leurs vies à cette glèbe noire.
J'étais leur commandant. Que retiendra l'histoire ?
L'insensé aspirait à une vaine gloire ?
Voulait-il des nations marteler la mémoire ?
On me nommait lueur et bannière des peuples,
Des hommes me suivaient. Mais rien n'est jamais simple.
J'ai brisé les scellés du bien et du mauvais.
J’ai laissé mes amis croirent que je savais
Où menait le chemin de notre rébellion.
Pour mon nom ils se sont battus comme des lions.
Têtes dures, bras puissants, coeurs cerclés d'airain,
De courage et d'ardeur, ils avaient ceint leurs reins.
Leurs lames nues gravaient le rire de la mort
Dans la chair faible offerte à l'amen du plus fort.
Fils des vastes forêts, enfants des bois profonds,
Ils ont été semés sur les flancs secs des monts
Pour être moissonnés à la fleur de leur âge,
Convaincus d'assigner aux peuples un message.
Mais l'oubli videra de sens leur sacrifice,
La mère effacera jusqu'au nom de son fils!
Nous étions mille et cent affrontés à dix mille
Ceux-ci pensaient gagner une partie facile !
Pour un des miens tombé, plus d'un l'accompagnait.
Pas un des miens tombant n'a voulu me renier.
Les vautours dans les airs, effroyable couronne,
Affamés du banquet que la guerre leur donne,
Attendent l'agonie du dernier défenseur,
Celui qui des nations s'érigea en censeur.
Mais je reste debout, retenant mes entrailles.
En plein mitan du champ de l’ultime bataille,
Je hue les rois charognards prêts pour la curée,
Je réclame un duel où l'un d'eux me tuerait,
A moins que, plein d’ardeur, malgré mon ventre ouvert,
Ce soit lui que j'envoie au grand festin des vers !
Mais la flèche que j’ouis plus que je ne la vois,
Issue d'un arc couard, vient de trouver sa voie.
C’est sans étonnement que ma poitrine accueille
La mort qui me flétrit comme une simple feuille.
(Burton)