Scénette en vers et prose : Le Chat
Le chat sauta lestement sur mes genoux, carda langoureusement mes cuisses heureusement protégées par des braies de laine épaisse, tourna quatre ou cinq fois en rond avant de trouver sa place, ouvrit sa petite gueule rose et alors que je croyais qu’il allait se mettre à bâiller, me dit soudain :
— Il était à l’abri
Dans sa cage doré
L’oiseau de paradis.
Mais il s’est échappé,
Ce pauvre volatile !
Alors je l’ai mangé.
Cet oiseau si fragile
S’était donc envolé,
Voilà pourquoi, humain,
Pourquoi je l’ai mangé.
J’ai mangé ce fretin
Parce qu’il s’est envolé !
A bon oiseau bon chat !
Son lot est de voler
Le mien... ha... ha... ha... tchaa !
Etait de le croquer.
Le félin ôta d’une griffe délicate la plume chatoyante qui, posée au coin de son nez charbonneux, venait de le faire éternuer. Je décidai de faire comme si j’avais pour coutume de discuter avec un chat ou avec l’un quelconque des animaux peuplant mon domaine.
— Fils de la Nuit, mon chat,
Tu as croqué l’oiseau
Qu’avant-hier le Pacha
M’a donné en cadeau ?
La cage était fort close
Et l’oiseau bien nourri !
— La vie est peu de chose,
Demande à ces souris
Dont tu étais fort aise
Que je te débarrasse !
Me rétorqua le matois matou en fermant à demi ses yeux d’or liquide. Je grinçai des dents à cause de l’argument spécieux et ripostai :
— Donc sur cette thèse,
Il faut te faire grâce
Que d’un oiseau vivant
Tu fis un oiseau mort ?
— Démontre-moi comment
Je pourrais avoir tort
Quand d’un piaf succulent,
Je fis un bon repas ?
Il était indolent
Et ne me craignait pas.
La porte était ouverte,
Il fut très imprudent.
Ce n’est pas grande perte,
Il était trop pédant
Car présent d’un Pacha,
Il ne voulait jamais
Donner sa langue au chat !
L’orgueilleux se croyait
Le parangon des cieux,
Plus haut qu’une volaille,
Le seul chantre des dieux...
Excuse-moi, je bâille,
Le repas fut fameux
Mais assez peu digeste.
Ce chapon, ce fumeux,
Était une vraie peste !
J’appelle un chat un chat.
Ne me dis pas, mon maître,
Que toi, tu t’attachas
À ce passereau traître !
Te voici délivré
Du souci inutile
D’avoir à t’occuper
D’un odieux volatile.
Tu sauras qu’il ne faut
Acheter chat en poche.
Car un trop beau cadeau
C’est anguille sous roche.
Il s’étira languissamment, lustra à petits coups de langue sa ténébreuse pelisse puis bâilla derechef, découvrant les crocs pointus qui avaient déchiré la chair délectable de l’oiseau. Je me sentis soudain très fatigué et surtout circonspect quant à mon état mental. Etais-je réellement en train de converser avec un chat et sans m’en étonner plus que ça ? Bah ! Il y a assurément des choses plus étranges sous le soleil. Je lui demandai sèchement, le mettant face à ses responsabilités :
— Que dire à mon ami
Lorsqu’il me viendra voir ?
Que l’oiseau qu’il m’offrit
Est dedans le chat noir ?
L’insolent minet, sautant de mes genoux, s’assit sur le tapis pour se lécher la queue. Puis levant sur moi son regard malicieux, il répliqua :
— Je te sais fort malin,
Tu sauras l’abuser.
Adieu, car j’ai, humain,
D’autres chats à fouetter !