Nouvelle :Goliath contre Malemort (amusette)

Publié le par Aelghir

 

  Le vent se lève. En même temps, des voix s’élèvent. Tout autour de moi. Me cernant. J’ai traqué Malemort pendant des heures. J’ai dû affronter des nyctalopes cornus qui me barraient le chemin. J’ai tenu tête à sa belle-mère armée d’un rouleau à pâtisserie clouté. J’ai défait ses vils complices un à un, et j’ai gravi des escaliers quatre à quatre. Je suis vanné. Je suis perclus de douleurs comme un vieillard. Grâce à mes courbatures, je découvre que je possède des muscles dont je n’ai jamais jusqu’à aujourd’hui soupçonné l’existence. Et si je compte bien, j’ai désormais près du double des os que j’avais avant de me lancer dans cette mission insensée. Des miettes d’os bien sûr... J’agite mes doigts en serrant les mâchoires. Puis je les repose sur mon arme. Mon regard d’aigle s’imprègne de l’arène où m’a conduit cette folle course-poursuite.

  Charmant paysage ! Au sortir du Castel du Mage Huscule, j’ai été projeté dans un lieu auprès duquel le cadre de ma dernière aventure apparaît soudain comme la villégiature idéale pour un héros qui en a plein les caliges. Certes, les Homoncules vampires se montraient particulièrement agaçants à vouloir à tout prix me mordre les mollets. Mais leur canton ne manquait pas d’attraits, dans le genre bucolique. Pas de quoi attraper la colique ! Tandis que là ! Que des cailloux ! Du mégalithe au grain de sable ! Et tout ça dans une teinte uniformément ocre rouge. Un peu de vert par ci par là aurait quand même apporté un peu de gaieté. Je me retrouve au centre d’un vaste cirque minéral. Mais je ne vais pas me laisser miner le moral ! Que le spectacle commence !

  Le vent forcit. Des grains de sable crépitent sur ma cuirasse et lardent mes jambes nues. Je transpire sous mon casque emplumé. Ce n’est pas la tenue rêvée pour crapahuter dans le Désert Rouge mais je n’ai pas eu le temps d’en changer. A peine si j’ai pu enrouler une écharpe devant mon visage.

  Je pensais être maître du jeu mais j’ai bien peur que Malemort ne m’ait attiré sur son propre territoire... Le Chaudron de l’Enfer. Rien que le nom, j’aurais dû me méfier. Mais c’est tout moi, ça : foncer épée dégainée et tête baissée dans les ennuis. Bah ! On ne se refait pas et puis la vie serait mortelle sans imprévu !

  Je traite donc par le mépris le sable ocre rouge. Il a beau vouloir m’emplir la bouche et les yeux, il a beau s’insinuer entre mes orteils et fabriquer un inconfortable coussinet entre la plante de mes pieds et la semelle de mes caliges, je ne me laisserai pas intimider. Le plus désagréable, c’est le hululement du vent qui masque les autres bruits. Je ne m’entends même pas claquer des dents. Ha ! Ha ! Ha ! Au moins, je n’ai pas perdu mon sens de l’humour.

  Va distinguer quelque chose avec les tourbillons roussâtres qu’il fait gicler dans tous les recoins de ce cirque érodé par ses soins au cours de je ne sais combien de millénaires ! Les rochers monolithiques apparaissent et disparaissent comme des fantômes drapés dans des linceuls ensanglantés. Manquerait plus que l’autre affreux surgisse de derrière l’un des blocs en faisant « Hou ! Hou ! ». Tiens ! Qu’est-ce que je disais ! Mon charismatique rival !

  Bon,  Malemort sait quand même se tenir. Pas de froufrous, juste lui au naturel. Remarquez, ça suffirait à coller la pétoche à plus d’un héros arpentant la Contrée de Chéqueuspyre. Pour seul vêtement, il porte un pagne d’écailles en corne d’aurochs et un pectoral de bronze cliquette sur son ample poitrine. Aussi large que haut, ce qui n’est pas peu dire, on dirait une motte de saindoux recouverte de fourrure. Mais ses replis de graisse sont trompeurs. Sous les longs poils roux se cache une hargne à toute épreuve. Sans doute en veut-il au monde entier à cause de sa laideur. Ma splendeur doit lui paraître un véritable affront. Pour un peu je m’apitoierais. Mais la massue démesurée qui arme ses battoirs me convainc de  ne pas verser dans le lacrymal. Bien plutôt d’entamer sans tarder une danse pour me mettre hors de portée des coups dignes d’un bûcheron que me porte l’hideux colosse. Le vent qui siffle maintenant à mes oreilles, c’est celui du gourdin hérissé de pointes qui voudrait bien tâter de mon crâne. Toujours à la pointe des innovations en matière d’armement, le Malemort! Mais plutôt dans le créneau de l’épate. Bon, il ne faudrait pas qu’il s’imagine qu’il m’impressionne. Je mouline de mon épée, arme conventionnelle mais efficace lorsqu’elle est bien maniée, de haut en bas puis de droite à gauche, de gauche à droite et ensuite de bas en haut. A son tour de sentir le vent de mon acier. Désorienté, il recule. Quelques poils roux s’envolent joliment, se mêlant aux grains de sable rouge soulevés par les bourrasques. Je cherche à mettre à profit mon avantage mais sa contre attaque est fulgurante malgré sa masse. On dirait une montagne en mouvement. « Si tu ne vas pas à la montagne, la montagne ira-t-a toi », dit-on du côté de chez moi.  J’ai toujours trouvé ça stupide. Jusqu’à cet instant où sous l’avalanche de coups, je commence à me dire que la montagne partie en excursion pourrait bien m’écraser. D’un retrait du corps, j’évite, de peu, la batte qui vise mon estomac et je riposte par un coup de taille éblouissant. Mon adversaire saute en arrière et retombe lourdement, soulevant un nuage de poussière. Il me fait irrésistiblement penser à un gigantesque crapaud-buffle velu. Ce n’est pourtant pas le moment de rire. Il repart à l’attaque. La vache ! Je me retrouve assis par terre avant de comprendre ce qui m’est arrivé. Il m’a au moins brisé l’épaule, le sagouin ! Je me relève précipitamment pour éviter de me retrouver émulsionné avec le sable ocre à grand renfort de gourdin. Quelques pas en arrière, style décrochement stratégique afin d’examiner les options qui se présentent à moi. Je n’en entrevois pas des masses, mon horizon étant un peu bouché par la massue de sa massive majesté des morpions. Parce que, excusez-moi, mais ça doit grouiller plus qu’un peu dans l’hirsute toison du bonhomme !

  Voilà que je digresse au lieu de dégraisser mon ventripotent concurrent ! Et pendant ce temps, il a changé d’armes sans que je m’en aperçoive. Il brandit une lance et se protège derrière un bouclier. Il aurait pu choisir le calibre au-dessus parce que, à part son monstrueux nombril, la rondache ne dissimule pas grand-chose. Mais les Entités qui nous fournissent en matériel tranchant ou contondant ne doivent pas disposer de sa taille en magasin. Toutefois, ses poignets sont enserrés par des bracelets de fer joliment ornés de piques. Sauf que ce n’est pas pour la décoration, ça c’est sûr. Parer et éventuellement blesser voilà leur utilité.

  Moi, je garde mon épée. J’ai toute confiance en elle et en mon talent pour en tirer le meilleur. Je l’attends de pied ferme. Il s’élance vers moi, la mine farouche. On le sent convaincu. Ses vociférations censées m’impressionner se confondent avec les hurlements du vent qui a encore forci. Ce dernier beugle sans discontinuer dans les crevasses et les galeries qui percent le Chaudron comme un vieux fromage grignoté par des souris-dragonnes.

  Malemort vise ma gorge de la pointe de sa lance. Je la dévie du plat de l’épée. Je me jette en avant et mon bras gauche, cerclé d’un large bracelet de bronze, frappe à la volée sa trogne grimaçante. Dans le même mouvement, alors qu’il me croit sans doute déséquilibré par le porte à faux, je pivote et lui assène un coup de taille visant le milieu du corps. Il a juste le temps de parer avec son bouclier joujou mais ma lame remonte et lui entaille profondément le bras. Le sang jaillit. Je m’étonne brièvement de le découvrir aussi rouge que le mien. Je l’aurais plutôt imaginé jaunâtre.

  Il continue à parer mes coups. Soudain son pied atteint mon genou droit tandis que sa lance se fraye un passage vers mon abdomen. Ouille ! Mon genou ! Je trébuche, ce qui a pour effet de me mettre hors de portée de la dangereuse pointe. Cette fétide limace a mal calculé sa manœuvre, heureusement pour moi. Mais boiter, ce n’est pas l’idéal pour une danse ! Je porte mon poids sur ma jambe valide et effectue un moulinet enveloppant avec mon épée pour gripper le bois de sa lance. D’un coup sec, je le désarme. Mais il lui reste quelques atouts. Deux pas en arrière et d’un geste étonnamment vif, il extrait un poignard de dessous ses poils. Mince ! Quel arsenal planque-t-il encore sous son épaisse toison et dans les plis de sa bedaine ? Il se précipite sur moi, ajustant mon épaule. C’est une feinte ! Il se baisse soudain en balançant sa jambe. Aïe ! Je n’ai pas vu venir son coup en traître ! Rien ne devrait m’étonner de sa part. Je roule à terre, je parviens à me relever malgré mon genou deux fois touché et je recule de quelques pas. J’ai lâché mon épée ! Je m’injurie intérieurement. Et copieusement. Sans quitter des yeux mon maléfique adversaire, j’arme ma main d’un poignard, pétale d’acier trempé qui luit dans le soleil voilé par les nuées fauves. Bon, d’accord, j’ai fait appel aux Entités malgré mon engagement de me satisfaire de ma seule épée.  Et la pression des circonstances, hein, ça ne compte pas pour rien !

 Malemort m’attaque sur mon côté affaibli, le chien ! Il s’est débarrassé son bouclier et ses deux mains armées de couteaux s’opposent à mon unique lame. Lancerai-je mon poignard sur cette cible mouvante certes mais difficile à manquer ? Je ne suis pas mauvais à ce jeu-là mais si j’échoue à l’abattre au premier coup, je serai désarmé. Pas sûr que les Entités me concèdent une nouvelle arme ! Je peux toujours essayer de récupérer mon épée qui gît plus loin sur ma gauche, à la limite de mon champ de vision. Tout en repoussant ses assauts, je me déplace subrepticement sur le côté. Au moment venu, j’effectue une vive reculade et projette ma lame bien équilibrée en direction de son épaule droite qu’il m’offre à découvert. Il lève le bras mais ne peut éviter la blessure. Il a lâché l’un de ses poignards mais lance l’autre sur moi avec toute la force de sa rage. Je me jette à terre dans une roulade brouillonne qui m’éloigne de Malemort. Le souffle court, je me relève aussitôt. Le vent hurle autour de nous. Ricanant. Malfaisant.

  Les voix se font plus nettes, de plus en plus agressives aussi. Je ne distingue pas ce qu’elles crient mais je sens bien qu’elles en ont après moi. On croirait entendre brailler ma grand-mère quand j’entre dans sa maison sans m’essuyer les caliges au paillasson ! 

  Comme si je n’avais pas assez à faire avec ce cinglé de Malemort ! Je ferme mes oreilles aux criailleries qui, à l’évidence, cherchent à me faire perdre ma concentration. Des alliées de mon ennemi, c’est sûr ! Sans doute des sirènes, ces bonnes femmes affublées d’un corps d’oiseau. Déjà qu’elles en ont la cervelle ! A coup sûr, Malemort a réussi à les appâter en leur promettant ma viande au menu de leur repas du soir. Rêve ! Mon superbe corps n’est pas pour elle, je le réserve à une vraie femme.

  En tous cas, l'exécrable personnage compte sur un moment d’inattention de ma part pour me sauter dessus. J’ai beau avoir plusieurs vies, je ne tiens pas à me faire tailler en pièces. Trop humiliant !

  Ah ! Malemort semble avoir récupéré et s’avance posément vers moi. Il agite devant lui un énorme cimeterre. Je grince des dents en détaillant la lame aussi longue que les doléances de mon père quand je ramène son char avec une aile un peu cabossée et plus tranchante que la langue de ma sœur aînée. Par les tripes de Marmaglup ! Où est passée mon épée ? De toutes façons, elle n’aurait pas fait long feu contre la sienne. Et à sa place, une lanière de cuir souple, plus large en son milieu, pendouille au bout de mes doigts, telle justement un boyau de ce pauvre Marmaglup l’Etripé. J’ai l’air fin avec ce machin ridicule. Je vois déjà ma fière tête quitter le socle rassurant de mes larges épaules et rebondir sur les petits galets ronds... petits... galets... ronds ?! Bon sang ! Mais c’est bien sûr !

  Je me baisse vivement, prends une pierre bien ronde, bien lisse, la place dans la fronde, fais tournoyer celle-ci au-dessus de ma tête et flap ! je la lance avec une telle force qu’elle s’enfonce dans le front de Malemort. L’affreux lâche son cimeterre, pousse un glapissement comique et tombe sur sa laide face. L’onde de choc se propage jusque dans mes jambes. Ce n’est pas celui qui a la plus grosse qui l’emporte, hein, l’abominable homme des sables ! Ainsi avec seulement une fronde et un petit galet rond, j’ai été le meilleur. Un exploit à inscrire dans les annales de Chèqueuspyre !

  Ce n’est pas le moment de me reposer sur mes lauriers. Je me mets à courir et je me penche sur Malemort : pas question qu’il reprenne du poil de la bête, l’animal. Je tire mon épée de son fourreau. Tiens ! Elle est de nouveau à sa place. Je le mets à mort de façon manifeste : en lui tranchant la tête. Puis je brandis le macabre trophée en tournant sur moi-même afin de le présenter aux quatre horizons.

  Les flancs incurvés du Chaudron de l’Enfer m’enserrent toujours de toutes parts mais je m’en suis rendu maître et pour l’heure, je ne crains plus rien. Une autre mission, un autre lieu me verront bientôt affronter à nouveau un adversaire à ma taille.

  A cet instant, je me rends compte que le vent est tombé. Mais ce n’est quand même pas le silence complet. Les voix continuent à former un son sonore sur lequel se détache soudain trois mots qui caresse mon amour-propre dans le sens du poil :

  « Goliath, vous avez gagné ! »

  Mais alors que je savoure ma victoire, une autre voix, glaçante, retentit derrière moi. Elle hurle dans mes oreilles avec la force d’un ouragan.

  «  David ! C’est la cinquième fois que je te dis qu’on passe à table ! » tempête ma mère.

 

Publié dans Nouvelles et romans

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S
Bonjour,<br /> Merci d'être venu(e) jusqu'à moi.<br /> Une écriture masculine ? ou une femme qui prend une vision masculine...<br /> ça m'a fait penser au dragon de Bradbury. Vous connaissez bien entendu ?<br /> Mais je me suis bien amusée. Je voyais un voyage spatio-temporel et j'ai été ramenée à l'ordre... c'est le cas de le dire.
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A
<br /> Je connais.<br /> Quant au masculin, féminin : mes personnages sont la plupart du temps masculins pour la raison que lorsque j'étais gamine, j'étais garçon manqué, jalousant mon frère d'en être un vrai, et plus<br /> aventureuse et bagarreuse que lui (j'avais toujours le dessus !). Je continue à préférer les personnages hommes, je m'identifie à eux, beaucoup moins à mes personnages féminins. C'est tout dans ma<br /> tête car je suis mariée, heureuse, et mère de trois enfants. Dans mes rêves, je joue souvent des rôles masculins, ce qui ressort sans aucun doute de ma frustration juvénile. Et dans le Rôle<br /> Play, mon personnage principal est un chevalier errant.<br /> <br /> Et merci de vous être amusée à lire mon amusette.<br /> <br /> <br />